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Le 22 juin, Xbox France organisait une table ronde intitulée « All in the game » sur la place accordée aux femmes dans l’industrie du jeu vidéo. Sur leurs chaises hautes, les trois participantes, Morgane Falaize (présidente de l’association Women in Games), Ina Gelbert (directrice Xbox France) et Lucie Prunier (productrice de jeux vidéo pour le studio Don’t Nod) racontent leur histoire aux internautes qui peuvent suivre les échanges en direct sur la plateforme Twitch. En racontant leurs histoires personnelles, les trois femmes trouvent rapidement un point commun : elles se sont mises à travailler dans le jeu vidéo presque par inadvertance, persuadées qu’elles n’avaient pas leur place dans ce milieu très masculin.

Ensuite, il a fallu se battre pour se faire une place dans des studios où ils étaient regardés comme des ovnis. « J’ai commencé dans l’industrie du jeu vidéo au Japon et tout le monde m’a demandé si je jouais aux jeux vidéo. Ça m’a énervé »témoigne Lucie Prunier. « Quand j’ai été nommé directeur chez Xbox, les titres des médias spécialisés étaient : une femme à la tête de Xbox. Ça m’a dérangé», lâche Ina Gelbert. Si ce trio a enchaîné les promotions et les succès malgré les obstacles, les femmes ne démarrent pas encore sur un pied d’égalité avec les hommes.

Les placards de l’industrie du jeu vidéo sont remplis de cas de harcèlement, de témoignages autour de comportements toxiques et de cas de discrimination. La direction du groupe Activision Blizzard, éditeur de la suite Warcraft, a par exemple été accusée d’avoir laissé discrimination et avoir favorisé une culture du harcèlement sexuel dans ce groupe de près de 10 000 salariés, racheté en janvier 2022 par Microsoft. Une plainte, déposée le 20 juillet 2021 devant un tribunal californien par le Department of Fair Employment and Housing (DFEH), une agence publique californienne, a marqué l’aboutissement d’une enquête de deux ans sur les pratiques d’Activision Blizzard.

Face à la pression du public et des médias, les grands acteurs du secteur tentent de changer cette image et ces pratiques internes en favorisant l’inclusivité. A la fois en recrutant des profils plus variés dans leurs équipes, et en créant des personnages et des univers virtuels plus féministes. « Les entreprises qui ne sont pas assez ouvertes aux femmes vont vite être débordées »analyse la directrice de Xbox France Ina Gelbert.

Dans une enquête commanditée par Xbox France auprès du CSA et réalisée auprès de 1 007 jeunes gameuses âgées de 16 à 30 ans, plusieurs chiffres sont en effet éloquents : 72 % des gameuses déclarent se sentir stigmatisées et huit sondés sur dix affirment que les femmes représentées dans les jeux vidéo ne ressemblent pas aux femmes dans la vraie vie.

Jeunes filles saoudiennes dans une maison de jeu dans la station balnéaire de Djeddah, sur la mer Rouge, le 15 mai 2019. (AMER HILABI / AFP)

C’est le défi numéro un des développeurs et éditeurs de jeux vidéo aujourd’hui : proposer une vision moins sexiste des personnages féminins dans les nouvelles productions et inclure des personnages représentatifs de la diversité ethnique de la population.

Chez le géant Electronic Arts (EA), un des principaux développeurs et producteurs de jeux vidéo au monde, un groupe de travail a été créé spécifiquement pour réfléchir aux moyens d’injecter plus d’inclusivité dans les créations des studios. Voici Tullay McNally, gérant conception inclusive et développement de produits chez EA, qui est à la tête de cette cellule. Cette trentenaire qui a passé son enfance en Allemagne avant de rejoindre les Etats-Unis nous a expliqué par visioconférence en quoi consiste sa mission.

« Mon travail consiste à pousser pour apporter plus d’inclusivité aux équipes d’EA, que ce soit le marketing, les développeurs, les joueurs… J’ai une équipe de quatre personnes avec moi. Nous travaillons également avec Glad, une organisation pro-LGBT aux États-Unis. J’ai déjà vu sur les réseaux sociaux ou dans des articles de presse des retours très positifs sur les changements opérés chez EA« elle dit.

Avec ses collaborateurs, Tullay McNally s’est particulièrement penché sur le célèbre jeu de simulation de vie Les Sims, un parfait laboratoire puisque le jeu tente de coller le plus possible au quotidien des citoyens de notre société moderne. « Sur Les Sims, nous avons fait beaucoup de choses pour rendre le jeu plus inclusif. Un exemple assez frappant que j’ai en tête : la représentation des fontaines dans le jeu. Nous avons changé la façon dont l’eau peut couler sur le corps des personnages féminins, car nous avions des remarques à ce sujet dans certains pays. C’est un détail auquel nous n’avions jamais pensé”.

En France, l’association Afrogameuses milite pour que les studios accordent plus d’importance aux femmes noires dans les jeux vidéo. « Parmi les personnages féminins, il y en a qui sont d’ascendance africaine. Mais, ils souffrent souvent de plusieurs clichés. Nous avons remarqué qu’il y avait souvent un catalogue de vêtements exotiques comme des colliers en os, alors que cela n’a rien à voir avec l’histoire du jeu. Il était important pour nous de déconstruire ces préjugés pour les enfants qui jouent »dit Vanessa « Nessabe », vice-présidente d’Afrogameuses.

« Les jeux qui apportent le plus d’inclusivité sont actuellement des productions de studios indépendants »

Fanny Lignon

chercheur à l’université Lyon 1

Tous ces efforts visant à transformer l’image de la femme dans les jeux vidéo ne sont pas vains. Lara Croft, l’héroïne de la franchise Tomb Raider, a vu sa silhouette évoluer pour le mieux au fil des années. « C’est un jeu intéressant à étudier, car il y a plein d’opus »précise Harmonie Freyburger, vice-présidente de l’association Women in Games France et manager chez Ubisoft. « Au départ, elle était hyper-sexualisée avec une grosse poitrine. Maintenant, elle est vraiment habillée différemment d’une manière moins sexuelle. Mais elle n’a rien perdu de son âme et c’est ça qui est génial..

Une affiche publicitaire pour le jeu "Assassin's Creed Odyssey" à l'événement Electronic Entertainment Expo E3 à Los Angeles le 12 juin 2018. (CHRISTIAN PETERSEN/GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

L’autre grand projet des studios est d’opérer un changement de stratégie dans les directions des ressources humaines pour recruter plus de collaborateurs aux profils plus variés : femmes, personnes de couleur…

Selon l’association Women in Games, en 2021 il y avait 22% de femmes dans les studios. « Nous avons gagné 10 % de femmes en 5 ans», note Harmonie Freyburger. Ce spécialiste des RH salue cette diversité croissante tout en rappelant un fait bien connu : les hommes monopolisent encore les postes à responsabilité et les services les plus prestigieux. « Il y a beaucoup de femmes dans les postes de communication, mais trop peu dans les métiers techniques comme développeur ou game designer. Le pourcentage de femmes dans les postes à responsabilité est également faible puisqu’on n’atteint que 10% de femmes dans ces postes. « .

Pour accélérer la transformation des studios, les recruteurs font évoluer leur processus de recrutement. « Nous avons un espace Discord avec 2 500 membres et nous avons de plus en plus de recruteurs qui y publient des annonces pour toucher plus facilement les femmes » dit Harmony Freyburger. Il y a un autre enjeu : comment garder ces salariés une fois en poste dans des environnements très masculins ? « Dans la tech, 30% des femmes quittent l’industrie après leur première année, c’est un vrai problème »ajoute Morgane Falaize, la présidente de Women in Games.

Pourtant, les femmes au pouvoir jouent un rôle crucial dans la transformation des jeux vidéo. « Je pense qu’il y a vraiment un impact de la composition des équipes sur la représentation sexuelle et de genre dans les jeux vidéo. Et plus il y aura de femmes, plus elles réussiront à exprimer leurs idées »dit Harmonie Freyburger.

« Je suis dans les jeux vidéo depuis 10 ans et ça a évolué. Ce n’est pas encore parfait, mais c’est déjà pas mal”

Lucie Prunier

Producteur chez Don’t Nod

Si l’on essaie l’exercice jamais facile de prendre trois pas en arrière pour avoir une vue d’ensemble, les efforts du studio pour injecter plus d’inclusivité dans l’industrie semblent porter leurs fruits. « Dans les jeux de combat, j’avais calculé il y a quelques années qu’il n’y avait quasiment aucun personnage féminin. Aujourd’hui, nous arrivons à environ un tiers. Après, il faut voir comment ces femmes sont présentées »pense la chercheuse Fanny Lignon.

Un constat partagé par Lucie Prunier qui foule chaque jour le studio Don’t Nod : « Je pense vraiment que ça va mieux. Je suis dans le jeu vidéo depuis dix ans et ça a évolué. Ce n’est pas encore parfait, mais ce n’est pas mauvais ».

Le calcul peut parfois être assez simple. Dans son enquête auprès des gamers, le CSA explique que 36% des gamers rêvent de travailler dans l’industrie du jeu vidéo. Et comme un joueur sur deux est une femme selon l’institut, ça fait beaucoup de candidats potentiels pour un poste dans le gaming. C’est aux studios de leur ouvrir la porte.

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